Un terrain propice à de nouvelles formes d'apprentissage

Les visions d’avenir et une orientation vers l’avenir sont demandées dans presque tous les secteurs d’activité et les entreprises face à l’ampleur de l’évolution technique et sociale. Cela se répercute aussi sur la formation professionnelle en entreprise. En misant sur une nouvelle culture d’apprentissage, on favorise la réussite des personnes en formation. Une vaste étude de la HEFP sur les entreprises formatrices suisses montre comment des cultures d’apprentissage souples et adaptées peuvent permettre une formation novatrice dans des contextes entrepreneuriaux différents et où se situent les principales pierres d’achoppement.

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Photographie de Selina Slamanig, en dernière année de Design ES, spécialisation Photographie, École de design de St-Gall

Par Patric Raemy et Antje Barabasch

« Nous constatons que nous aurons besoin, à l’avenir, de gens qui adaptent leur mode de pensée. De nouvelles fonctions se développent. Jusque-là, nous avons plutôt encouragé les personnes qui étaient sympas et gentilles et travaillaient bien. Elles restent certes importantes, mais nous aurons besoin, pour certaines fonctions, de personnes non seulement assidues mais aussi dotées d’autres profils. » Ce constat formulé par une responsable de la formation professionnelle dans le commerce de détail est symbolique du renouveau que vivent de nombreuses entreprises à l’heure actuelle.

Les entreprises formatrices sont tenues de suivre le rythme de l’évolution technique, économique et sociale. Les phases de renouveau sont souvent aussi synonymes d’ouverture : les questions que les entreprises se posent sur la manière de s’adapter au marché de demain sont aussi liées à des questions, des projections et des idées sur les possibilités d’assurer la relève et de former ou perfectionner leur personnel.

C’est également un défi pour les entreprises de satisfaire aux attentes de l’industrie et des associations professionnelles en matière de formation en interne. Outre les compétences spécifiques de la profession, il importe de plus en plus de promouvoir les compétences transversales que sont l’autonomie, l’indépendance, la créativité et le sens des responsabilités. À vrai dire, nul ne sait vraiment aujourd’hui comment les entreprises formatrices sont censées y parvenir.

Ces constats sont propices à de nouvelles cultures du savoir, comme le décrit le psychologue Karlheinz Sonntag. Les nouvelles conceptions et approches novatrices ont souvent pour corollaire une mutation profonde de la culture d’apprentissage dans les entreprises formatrices. La concrétisation de ces idées et la capacité de convaincre les protagonistes impliqué-e-s constituent pour les entreprises une mission intensive et souvent délicate.

« Nous avons encore deux ou trois personnes en marge, mais les autres se sont vraiment mises à participer activement. »

Cinq études approfondies

En dehors des entreprises, on ne sait pas grand-chose de ces cultures d’apprentissage novatrices. Une vaste étude menée par la HEFP donnent une idée plus précise des idées et des valeurs qui se cachent derrière ces nouvelles conceptions de la formation, ainsi que sur la gestion des nouvelles exigences. De 2017 à 2021, des équipes de recherche de la HEFP ont mené cinq études de cas exploratoires dans des entreprises proposant des schémas de formation novateurs et comptant parmi les plus grandes entreprises formatrices de Suisse. Elles appartiennent aux secteurs de la technologie de l’information et de la communication, des transports, de la poste, des banques, de la pharmacie et du commerce de détail.

Plus de 200 entretiens semi-structurés ont été menés avec des personnes en formation, des formateurs et des formatrices, des coachs ainsi que des responsables de la formation professionnelle à divers niveaux de hiérarchie. Les questions ont porté sur les expériences au quotidien, l’organisation de la formation, l’aide à l’apprentissage de même que les opinions, les valeurs et les convictions des entreprises en matière de formation.

Oser innover

Les études de cas révèlent des aspects importants pour l’avenir de la formation professionnelle en entreprise. En fait notamment partie un engagement résolu de la direction pour sortir des sentiers battus et se remettre en question. Un membre de la direction d’une entreprise de technologie de l’information et de la communication a précisé : « Il est capital de ne pas se contenter d’en parler, mais de dire : ‹ D’accord, mais… › Il ne faut pas dire que les personnes en formation sont responsables et ne pas les laisser s’exprimer. On leur donnera alors carte blanche et on prendra ce qui vient. Et ce qui viendra sera bon. »

Les formateurs et les formatrices devraient en tout cas se montrer plus souples et plus accessibles aux centres d’intérêt, aux points forts et aux points faibles individuels, de façon à pouvoir assurer un suivi axé sur les ressources. Il est essentiel d’accroître la motivation intrinsèque des personnes en formation. Il s’agira notamment de les intégrer dans l’équipe et de les solliciter sans excès, comme l’a expliqué un formateur du secteur pharmaceutique : « Pour moi, les apprenti-e-s font partie de l’équipe et ont les mêmes droits et les mêmes obligations. » Cela implique qu’il témoigne d’une grande estime à l’égard des personnes en formation et qu’il délègue les responsabilités. Il attend toutefois d’elles qu’elles adaptent leur mode de pensée. « Il se peut que j’attende parfois trop, je ne sais pas. C’est parfois un peu difficile avec les jeunes au niveau de la responsabilité. »

Une fois la responsabilité déléguée, on observe chez beaucoup un impact important sur l’apprentissage. Une apprentie du secteur des technologies de l’information et de la communication l’a expliqué ainsi : « il faut aussi vouloir, c’est-à-dire faire preuve d’initiative. Si tu vas travailler pour travailler, tu feras fausse route. Si tu veux atteindre quelque chose de plus grand, tu y arriveras. »

Dans les entreprises où des approches novatrices se sont établies, il est fréquent qu’une ou plusieurs personnes visionnaires déterminent la culture d’apprentissage. Selon un membre de direction du secteur informatique, cette approche requiert « beaucoup d’optimisme et la conviction que la prochaine génération changera lemonde et peut et doit en assumer maintenant la responsabilité ». Les nouvelles idées et conceptions naissent souvent au niveau directorial et ne parviennent que progressivement à toutes les parties prenantes de la formation professionnelle de l’entreprise.

La force de persuasion s’impose

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Photographie de Dario Hässig, en dernière année de Design ES, spécialisation, Photographie, École de design de St-Gall

Les cultures d’apprentissage ne sont toutefois performantes que si elles sont soutenues durablement et à long terme par tout le monde. Il importe de percevoir globalement le besoin de changement, de négocier et de concrétiser les adaptations selon une démarche constructive. Un formateur du commerce de détail a déclaré à ce sujet : « Nous avons encore deux ou trois personnes en marge, mais les autres se sont vraiment mises à participer activement. Et elles le communiquent. […] Nous savons qu’il faudra encore trois ans pour que tout soit en place. Un tel projet requiert du suivi, et nous l’assurons. »

 

Une stratégie peut consister à ce que les personnes qui mettent en oeuvre les nouvelles idées de manière simple et constructive servent de multiplicateurs. Selon le secteur, le potentiel est exploité à des degrés divers. Cette stratégie fonctionne bien dans l’informatique, alors que d’autres branches ont plus de peine avec l’approche « bottom- up ». Les cultures d’entreprise et les cultures d’apprentissage s’influencent ainsi jusqu’à un certain point.

Des cultures qui catalysent

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Photographie d’Angelina Wegmann, en dernière année de Design ES, spécialisation Photographie, École de design de St-Gall

Une entreprise tient à réaliser des objectifs de chiffre d’affaires. Il en résulte que le travail productif de tout le personnel, y compris les personnes en formation, n’est pas facilement conciliable avec les consignes des fédérations professionnelles en matière de formation. Il faut constamment renégocier les marges de manoeuvre pédagogiques, c’est-à-dire le travail d’encadrement. À cela s’ajoutent des convictions et des objectifs individuels, qui peuvent rendre difficile la mise en oeuvre de nouvelles cultures d’apprentissage. Un responsable de formation des transports publics a déclaré, par exemple : « Qu’est-ce que cela signifie au niveau de la concrétisation pour moi et pour mon entreprise ? Il y a beaucoup de choses qui ont l’air cool, mais qui ne fonctionnent pas dans la pratique. […] À un moment ou à un autre, on veut que l’investissement rapporte quelque chose. »

 

Le processus peut s’avérer difficile. « Quand on veut réaliser quelque chose quelque part, on constate souvent que la culture sectorielle consiste à rechercher pourquoi quelque chose ne va pas et non à rechercher les opportunités existantes », a déclaré un formateur.

« Quand on veut réaliser quelque chose quelque part, on constate souvent que la culture sectorielle consiste à rechercher pourquoi quelque chose ne va pas et non à rechercher les opportunités existantes. »

Les nouvelles cultures d’apprentissage ne sont toutefois pas seulement la cause de telles tensions, elles peuvent aussi offrir des solutions dans la mesure où elles favorisent l’autonomie, la responsabilité et la souplesse du personnel. Les personnes en formation sont mieux préparées à un apprentissage tout au long de la vie, dans l’hypothèse où elles savent mieux s’adapter à des changements rapides.

L’opportunité de cette approche pour l’ensemble des secteurs d’activité et même pour des travaux prétendument simples apparaît dans les propos d’un formateur : « Autrefois, les personnes en formation ne faisaient que du remplissage. Par exemple, dans le commerce de détail, elles mettaient des marchandises dans les rayons sans tenir compte du contexte global. » Aujourd’hui, le processus implique de se soucier aussi du stock de marchandises. « Il importe de vérifier si un produit n’est plus là, s’il y en a encore en réserve ou à la cave, et pourquoi il n’y en a plus alors qu’on peut en commander. »

L’apprentissage ne fonctionne pas partout de la même manière

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Photographie de Rahel Manser, en dernière année de Design ES, spécialisation Photographie, École de design de St-Gall

Il n’y a pas de culture d’apprentissage idéale. Les entreprises et les secteurs d’activité devraient plutôt se demander quelle culture correspond à leurs besoins. Par exemple, en informatique, un apprentissage par l’expérimentation peut s’avérer idéal, car il favorise aussi la créativité. Dans un secteur aussi changeant et novateur, on peut vraiment laisser la place à l’expérimentation. Les versions Beta ainsi que Trial & Error font quasiment partie de la norme professionnelle. Dans la construction ferroviaire, en revanche, d’autres thèmes sont prioritaires. Si un train roule à près de 200 km/h, il y va avant tout de la sécurité et de la fiabilité.

Par conséquent, les mécanismes régulateurs d’un secteur d’activité déterminent en grande partie la définition de nouveaux formats et de nouvelles approches d’apprentissage. Certaines entreprises ont ainsi créé des contrats d’apprentissage proches de la pratique. D’autres s’efforcent d’instaurer des moments d’apprentissage dans le processus de travail. Un formateur du commerce de détail a expliqué que l’on voulait se distancier d’une pure transmission du savoir et privilégier un apprentissage pratique, « pour que les apprenti-e-s puissent réellement créer une promotion de produits et non pas simplement raconter comment on pourrait la réaliser ».


L’étude de la HEFP s’est exclusivement intéressée aux cultures d’apprentissage de grandes entreprises. Cellesci pourraient cependant constituer d’importants précurseurs pour les petites entreprises. Et bien que toutes les idées ne puissent pas se transposer vers les PME, il est capital, dans toutes les entreprises, que des valeurs communes soient définies dans la formation et vérifiées en permanence, ce qui doit être transmis durant l’apprentissage au même titre que la formation technique. En se posant cette question, on aura déjà effectué un grand pas vers une nouvelle culture d’apprentissage.

  • Patric Raemy, collaborateur scientifique du champ de recherche « Cultures d’apprentissage et didactique », HEFP (jusqu’à fin janvier 2022)
  • Prof. Dr. Antje Barabasch, responsable de l’axe prioritaire de recherche « Enseignement et apprentissage dans la formation professionnelle », HEFP

Bibliographie

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Barabasch, A., Keller, A. & Schumacher, B. (2022): Jump in. Verantwortungsvoll lernen und arbeiten bei der Schweizerischen Post. Bern: hep.
  • Barabasch, A., Keller, A., & Marthaler, M. (2020). Next Generation. Selbstgesteuert und projektbasiert lernen und arbeiten bei Swisscom. Berne : hep.
  • Barabasch, A., Keller, A. & Schumacher, B. (2022): Jump in. Verantwortungsvoll lernen und arbeiten bei der Schweizerischen Post. Berne : hep (paraîtra en mai 2022).
  • Sonntag, K., Stegmaier, R., Schaper, N. & Friebe, J. (2004). Dem Lernen im Unternehmen auf der Spur. Operationalisierung von Lernkultur. In : Unterrichtswissenschaft, 32, 104–127.
  • Raemy, P., Keller, A., Walker, G. & Barabasch, A. (2022, sous presse). Nachhaltige Lernkulturen in einer sich schnell verändernden Arbeitswelt. Berichte zur Beruflichen Bildung AG BFN.

Projet

La formation professionnelle pratique aujourd'hui - Enquête concernant les nouvelles cultures d'apprentissage sur le lieu de travail